Bandeau
Cercle Genealogique de l’Aveyron
Slogan du site
Descriptif du site
Les Polonais en Aveyron
Article mis en ligne le 2 février 2014
dernière modification le 23 janvier 2015

par phchristol

Introduction

Les Polonais de France, tous dans les mines du Nord ?
Allons donc ! Certains d’entre vous le savent déjà, d’autres vont le découvrir par cet article - la Pologne a depuis bien longtemps vu partir ses concitoyens vers un peu toutes les régions de France, et entre autres, même à certaines périodes tout particulièrement... en Aveyron.

Les réfugiés politiques du XIXe siècle

Malgré une décennie de fréquentation des Archives de l’Aveyron, et avec un intérêt tout particulier porté aux Polonais, je n’en ai pas encore rencontré sous l’Ancien Régime dans ce département (alors qu’on en trouve en Languedoc - Hérault, Gard ; en Aquitaine ; en Provence...). [1]

Leur arrivée semble débuter avec l’échec de la première des insurrections dont le pays est le théâtre tout au long du XIXe siècle, l’ « Insurrection de Novembre » 1830.
Envahi par Russie, Autriche et Prusse entre 1772 et 1795, la Pologne a alors disparu en tant qu’Etat indépendant. La population n’accepte pas cet état de fait et une guerre d’indépendance a lieu entre novembre 1830 et septembre 1831 contre l’empire Russe, qui finit par l’emporter et réoccuper Varsovie. La répression est féroce, la plupart des troupes polonaises vaincues sont parvenues à franchir les frontières avec Autriche et Prusse (qui ne sont pas intervenues directement) en se laissant désarmer ; plus de 3000 officiers, sous-officiers et soldats, sentant souffler sur leur nuque le blizzard glacé de la promesse d’un exil en Sibérie, choisissent de fuir vers la France. La Monarchie de Juillet, très contestée par l’opposition Républicaine pour n’être pas intervenue militairement, ne peut faire autrement que de les accueillir avec le plus de bienveillance possible.

À partir de janvier 1832 on crée pour eux des « dépôts » (en général des casernes), pour les loger par unités à Avignon, Châteauroux, Besançon, Le Puy et Bourges. Devant le nombre d’arrivants, afin d’éviter des concentrations propices à l’agitation, ont les éparpille rapidement dans de nombreux départements à l’implantation souvent méridionale : le Sud, éloigné de Paris, est aussi considéré plus conservateur et donc moins susceptible de mouvements républicains.
Le dépôt de Rodez avait déjà accueilli des réfugiés Espagnols en 1813 suite à la retraite d’Espagne, puis à nouveau des « Carlistes » (partisans de Don Carlos pour le trône d’Espagne) au début de la décennie 1830, et des révolutionnaires Italiens expulsés du Duché de Modène début 1832. On le mentionne dès 1833 pour les Polonais, considéré comme un dépôt « punitif » dans lequel son envoyés ceux qui s’agitent un peu trop. On y compte 127 réfugiés polonais en juillet 1834 et encore 113 en juin 1835, logés en pratique à Rodez, Millau, Villefranche, mais aussi Séverac, Saint-Affrique, Saint-Geniès et Espalion.
La plupart ne restent pas : un recensement des étrangers en 1889 n’en trouve que trois (très exactement huit dont cinq nés en Aveyron).

Citons certains d’entre eux.

Louis Rufin Szafkowski [2], né à Grodno (aujourd’hui en Biélorussie) en 1814, fils de Casimir et Françoise Makowski, passe un diplôme de docteur en médecine à Montpellier, après reconnaissance d’équivalence d’un an à l’Université de Vilnius, en août 1836 avec une thèse sur la vaccine (variole de la vache).

AD34 4M1757 : Szafkowski dans la liste des étrangers à Montpellier en 1836

Il s’installe en octobre à Saint-Beauzely, où il construit une maison qui abrite la gendarmerie à partir de 1889, et où il va rester plus de 20 ans pendant lesquels il publie ses Recherches sur les hallucinations en 1849, année au cours de laquelle il dépose une demande de naturalisation, qu’il obtiendra quelques années plus tard. Puis il épouse à Aguessac le 23/09/1856 Noémie Triadou, fille du médecin du lieu décédé quatre ans avant et dont il reprend quelque temps le poste. Il s’installe ensuite à Millau 3, rue Almeras où il termine sa longue carrière. Très actif, il publie dans le Bulletin de l’Académie de médecine (en 1846 et 1864), témoigne pour l’ouvrage du docteur Millet « Du cholera morbus épidémique » en 1851, participe à un congrès scientifique à Rodez le 21 /9/1874, et est membre du conseil général de l’Aveyron pour l’arrondissement de Millau participant entre autres à des études sur le travail des enfants en 1874 et 1880 [3].

Guillaume Wesolowski [4], né à Belgard (Poméranie) en 1805 de Frédéric, officier de cavalerie, et d’Amélie Grotter, arrive à Rodez en provenance de Bourges le 11/10/1833. Il épouse Marie Sophie Cabantous, fille d’un fabricant gantier calviniste, à Millau le 30/1/1835 en présence de plusieurs officiers polonais : Czarnecki, Chylinski et Scieczkowski.

Il sera conducteur des Ponts et Chaussées comme de nombreux compatriotes, à une époque où le programme de constructions de routes de la Monarchie de Juillet est en plein essor. Veuf en 1854 avec trois enfants, il se remarie en 1869 avec Julie Catherine Philomène Fabre, jeunesse de 27 ans ; Rufin Szafkowski est parmi les témoins.

remariage de Wesolowski en 1869

Edmond Bucewicz, né en 1807 à Berge (région de Vilnius), est arrivé au Puy-en-Velay en avril 1832 ; longtemps bénéficiaire des subsides de réfugié, il se les voit supprimer en 1845. Marié en 1836 avec Magdelaine Roux, il exerce en effet la profession de cafetier à sa résidence de Saint Côme, ce qui lui permet de subvenir à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses trois enfants (Joseph Félix Edmond né en 1837 ; Alise Arsène, 1839 ; Antoinette Darie, 1842).

De même Charles Golonski, élève du Grand Collège de Varsovie en 1830, arrivé en passant par Bourges dans l’Aveyron en septembre 1833, exerce ensuite la profession de limonadier à Villefranche, et en 1843 est jugé désormais suffisamment "dans l’aisance" par le Ministère de l’Intérieur (la surveillance est décidément très centralisée !) pour qu’on lui retire ses subsides de réfugié. Malheureusement, une faillite l’amènera à redemander cette aide en 1846, et après son décès prématuré, sa veuve pourtant bien française (née Marie Carmen Colombier), continuera d’en bénéficier pendant quelques années.

Ces exemples, brillants ou modestes, témoignent de l’intégration réussie des quelques réfugiés polonais restés en Aveyron.

Certains supportent cependant plus mal l’exil : dans une lettre du 15/11/1841, conservée aux Archives Départementales,

l’officier Albert Rozecki se plaint amèrement de souffrir de « nostalgie », au point que cet état de désespoir moral, affecte sa santé et après six vaines années passées dans le commerce, lui interdit « d’entreprendre aucun travail sérieux » ; ceci l’amène à demander l’autorisation de s’inscrire à l’Ecole des Beaux-Arts de Toulouse, dont l’atmosphère conviendra sans doute bien mieux à sa détresse romantique tellement en phase avec son époque.

AD12 4M693 lettre Rozecki

Enfin, c’est parmi les célébrités littéraires que nous trouverons le dernier exemple : Honoré de Balzac épouse en 1850 la comtesse Évelyne Rzewuska veuve Hański ; le cousin de celle-ci, Théodore Rzewuski, né à Kalisz, arrivé en France en 1832, a épousé en 1838 Victorine de Balzac, institutrice à Rodez et parente de l’écrivain. Agréé au tribunal de commerce de Rodez de 1849 à 1850, il retournera vivre en Pologne. [5]

1914 : mineurs déplacés et prisonniers libérés
sur ce sujet, rendez-vous au Salon Généalogique de l’Aveyron les 12 et 13 avril 2014 à Millau, pour venir voir l’exposition qui y sera présentée

Il y a déjà des mineurs polonais dans le Nord de la France en 1914 : le prince Witold Czartoryski (petit-fils du chef de file des émigrés de 1830), actionnaire des mines d’Anzin, avait organisé leur venue à partir des mines de Westphalie en Allemagne ; ils sont peut-être 2000, femmes et enfants compris, lorsque l’archiduc d’Autriche François-Ferdinand est assassiné à Sarajevo.
Dès le début de la Première Guerre mondiale, devant la menace de l’avance allemande du plan Schlieffen, les zones minières frontalières sont évacuées. Les Polonais, qui possèdent en général un passeport allemand, sont appréhendés en tant que ressortissants d’une nation ennemie. À l’époque, cela signifie l’internement dans un camp dont une trentaine sont alors créés dans toute la France, avec une concentration particulière dans l’ouest de la France et... en Aveyron, qui en compte pas moins de 5. Ceux-ci sont situés à Millau où sont parqués les « Westphaliens », puis à Saint Affrique pour les Austro-Hongrois, Villefranche (la Maladrerie) Rodez (Saint Pierre) et Espalion.
Vite repérés par les compagnies minières locales, ils se voient délivrer des certificats de nationalité polonaise (alors que le pays n’existe toujours pas officiellement) par l’organisation de la « Protection polonaise » (Opieka Polska) ainsi qu’un « Office polonais pour les affaires civiles en France » qui s’est créé à Paris. Le gouvernement français a en effet donné instruction de libérer Polonais et Tchèques, qui sont considérés comme nations amies sous occupation. Dès l’automne 1914 les transferts commencent vers les mines de Loire et du Gard, mais aussi Aubin et Cransac dans le département. Rien qu’à Villefranche, 61 personnes sont libérées comme « mineurs Polonais » (on en compterait plus de 600 sur l’ensemble des camps) et renvoyés séance tenante extraire du charbon pour l’effort de guerre.
Leur séjour n’est pas de tout repos : la population locale leur trouve des accents germaniques, et ils sont fréquemment en bute à une hostilité xénophobe qui les identifie à des Allemands.
Le système d’internement des ressortissants ennemis dure pendant tout le conflit, et la Protection Polonaise continue de faire libérer des internés et prisonniers de guerre qu’elle identifie comme Polonais, jusqu’en 1918.

1919-1939 : mineurs et ouvriers agricoles

Le département de l’Aveyron se singularise entre-deux-guerres par le cas, probablement unique, d’une double immigration à la fois minière et agricole d’égale importance.
En 1926, on compte 1 420 Polonais en Aveyron, dont 75% dans les mines. Ils sont concentrés à l’extrême dans le bassin vers Aubin, Decazeville et Cransac : en 1931 Decazeville abrite 966 Polonais, Aubin 613 et Cransac 448 ; avec les Espagnols environ deux fois plus nombreux, ils représentent plus de 90 % des étrangers.
Des logements spécifiques sont parfois construits à l’image des corons du Nord, comme les « cantines polonaises » des houillères d’Aubin. À Combes (Aubin) une école spéciale apprend le français aux enfants étrangers. Parmi les premières en France, est créée à Cransac en 1921 une société Sainte-Barbe sous la bannière Bóg i Ojczyzna (Dieu et Patrie). La communauté polonaise aveyronnaise bénéficie d’un aumônier à demeure à Decazeville au moins entre 1944 et 1946.
En parallèle, des travailleurs agricoles sont recrutés par le même circuit officiel (la « Société Générale d’Immigration », organisme de droit privé sous délégation de l’Etat, qui organise le recrutement en Pologne et l’acheminement par trains entiers jusqu’à un véritable centre de tri à Toul en Meurthe-et-Moselle) et en Aveyron, ils vont bientôt supplanter les mineurs. En 1937, le département compte un maximum de 2776 Polonais (plus d’un étranger sur quatre, et les deux tiers des travailleurs agricoles étrangers) dont la moitié sont dans les campagnes ; en 1939 le bassin minier n’en compte plus que 566 sur les 2490 du département. Compte tenu de la rotation extrême dans les exploitations agricoles, on peut estimer que quelques milliers de Polonais sont sans doute passés par l’Aveyron comme travailleurs de ferme, fait totalement méconnu dont les acteurs eux-mêmes n’ont sans doute pas saisi l’ampleur : ces ouvriers agricoles étaient si éparpillés que beaucoup de communes n’en comptaient qu’un ou deux, souvent des femmes (tandis que les hommes étaient les plus nombreux dans le bassin minier). Il y en avait pourtant presque partout, en particulier sur le Ségala autour de Rodez (Arvieu, Auriac, Canet de Salars, Cassagnes-Beghones, Castanet, Colombiès, Flavin, Luc...).
 [6]

Voici un graphique extrait du Mémoire de Maîtrise à l’Université Toulouse le Mirail en 1995 : Muriel Delpech, « Les Polonais en Aveyron de 1921 à 1968 » [7]

De 1939 à nos jours

Les Archives de Millau conservent la trace (cote 35 H 13bis) du recensement obligatoire effectué dans toute la France des Polonais mobilisables de 17 à 45 ans au début de la Deuxième Guerre Mondiale, suivant un accord du 9 septembre 1939 entre les deux gouvernements qui aboutira à la formation d’une Armée Polonaise en France de 82 000 hommes en juin 1940.
Dans son mémoire, M.Delpech constate après-guerre la baisse du nombre de Polonais dans le département, qui ne sont déjà plus que 37% des travailleurs agricoles en 1946.
L’« Atlas of Polish emigration in France » n’en recense plus qu’environ 300 en 1975, et 400 naturalisés. Nul doute que dans cette statistique n’apparaissent pas les descendants des réfugiés politiques du XIXe siècle pas plus que la plupart des enfants et petits-enfants des travailleurs agricoles et miniers de l’entre-deux-guerres, communauté aussi discrète qu’éparpillée de nos jours.
La base nominative du Cercle Généalogique de l’Aveyron (...et d’autres lieux, comme en témoignent les activités hors du département et jusqu’aux rives de la Vistule dont nous viennent certains des sourires accueillants du siège de Millau...) retourne 27 entrées pour le mot « Pologne », 10 pour « Polonais », et 24 pour « ski » (suffixe nominatif polonais bien connu), ce qui est à la fois peu et beaucoup, les données étant essentiellement antérieures à 1900.
Le caractère féminin de l’émigration d’entre-deux-guerres dans les campagnes, et la perte peu à peu de l’identité culturelle dans les bassins miniers, font qu’aujourd’hui les noms polonais, et entre autres les plus portés en Pologne (Nowak, Kowalski, Wojcik) se font très rares dans le département.
La mémoire de cette immigration très particulière, la deuxième communauté étrangère de l’Aveyron jusqu’aux années 1960, se dissipe donc inexorablement.