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Des soldats du Millavois dans la Grande Guerre (2)
Article mis en ligne le 15 novembre 2015

par Jean Yves BOU

Dans un numéro précédent Article il a été question de la mobilisation des classes 1904 et 1914 des cantons de Millau, Peyreleau, Saint-Beauzély et Vezins à la déclaration de guerre. Que sont-ils devenus entre 1914 et 1918 ?

Voir l’article précédent

Classe 1914 Classe 1904
Total % Total %
Total mobilisés 1914-1918 274 273
Soldats ayant participé à la campagne d’Orient 29 10,9 7 2,6
Détachés dans l’industrie (toute ou partie de la guerre) 2 0,7 10 3,7
Détachés dans les Chemins de fer toute la guerre 0 0,0 15 5,5
Télégraphistes toute la guerre 0 0,0 6 2,2
Service auxiliaire pendant toute la guerre 4 1,5 14 5,1
Service auxiliaire pendant une partie de la guerre 32 11,7 22 8,1
Réformés en cours de guerre 33 12,1 23 8,4
Décédés hors guerre 1 0,4 1 0,4
Morts pour la France 67 24,5 49 17,9
Blessés survivants 116 40,1 61 22,3
dont pensionnés 81 29,6 28 10,2
Malades (dont certains aussi morts et blessés) 34 12,4 26 9,5
dont pensionnés 15 5,5 13 4,7
Prisonniers de 6 à 51 mois en Allemagne 11 4,0 32 11,7
Insoumis et déserteurs 5 1,8 4 1,5
Ni morts, ni blessés, ni malades, ni prisonniers ayant fait toute la guerre dans le service armé 42 15,3 40 14,9
Ni morts, ni blessés, ni malades, ni prisonniers ayant fait toute ou partie de la guerre à l’intérieur 20 7,3 60 22,0

La première ligne du tableau donne le nombre total de mobilisés, qui ne représente qu’une partie des hommes inscrits sur les listes de recensement militaire, car certains moururent avant le guerre et d’autres furent réformés définitivement pour leurs problèmes de santé.

Le terme "mobilisé" cache toutefois des parcours très variés. Variés par la nature de la mobilisation :
 service armé
 service auxiliaire
 détachement dans l’industrie
 affectation aux chemins de fer
 aux services télégraphiques.

Variés par le type de régiments d’affectation des militaires :
 infanterie
 artillerie
 génie
 transports ("escadrons du train des équipages")
 intendance ("sections de commis et ouvriers militaires d’administration")
 soins
 marine
 aviation, etc.

Variés par la durée de l’engagement
 dans tel ou tel service
 en fonction des besoins
 des impératifs
 des circonstances.

Ainsi, alors que Guillaume Calmels* passa toute la guerre comme médecin aide-major à l’ambulance, ou que Alexis Grèzes* et Paul Aldebert* furent sous-officiers dans le génie pendant cinq ans, Octave Bonnet-Large* eut un parcours complexe : incorporé dans le 300e régiment d’infanterie en 1914, il fut blessé par une balle au bras gauche en avril 1915. Après un an de soins et de convalescence, il fut intégré dans le service automobile d’un régiment d’infanterie. Il changea ensuite huit fois d’affectation avant sa démobilisation en février 1919, alternant entre l’artillerie et le train des équipages. Autre exemple, Auguste Curvelier* fut d’abord affecté à la 16e section d’infirmiers. En juin 1916 une commission de réforme le transféra dans le service auxiliaire pour bronchite ; il fut reclassé service armé en janvier 1917 et rejoignit le 122e régiment d’infanterie puis termina la guerre dans le 146e. Quant à Justin Noyrigat*, incorporé dans le 7e régiment du génie, il fut blessé lors de l’attaque de Saint-Mihiel dans la nuit du 12 au 13 octobre 1914. Il fut ensuite versé dans le service auxiliaire d’abord dans une section des commis et ouvriers militaires, puis de nouveau dans le génie. Il garda une gêne pour marcher, mais n’eut pas droit à une pension d’invalidité.

Détachés dans l’industrie

Douze mobilisés de l’échantillon furent détachés dans l’industrie toute ou partie de la guerre. Parmi eux, Eugène Bion, cultivateur de Saint-André de Vézines, fut brigadier de four à zinc à la Vieille Montagne à Viviez, Émile Boussaguet, palissonneur, rentra à Millau en 1916 pour travailler à la tannerie Guibert de Creissels, Clément Lafon, de Saint-Georges, fut détaché à la société Chaux Magnerie de Clermont-l’Hérault, Joseph Laurens, ébéniste, et Gaston Lacas, serrurier de Millau, travaillèrent dans une poudrerie, Marcel Lacombe, gantier de Millau, dans une verrerie, alors que Marius Alric, originaire d’Aguessac, resta mineur à La Grand-Combe dans le Gard.

Cheminots et Télégraphistes

Les employés des Chemins de fer du Midi, d’Orléans et du P.LM. (c’était avant le S.N.C.F.) et les employés des PTT spécialisés dans la télégraphie eurent des affectations spéciales liées à leur métier : ils furent maintenus dans leur poste, ou affectés aux chemins de fer ou aux unités de télégraphistes nécessaires pour lier le front et l’intérieur. Ainsi Ulysse Causse* et Amans Fiches* furent maintenus à la disposition des Chemins de fer du Midi, alors que Léon Bernat, cheminot à Millau, fut affecté à la 7e section des chemins de fer de campagne. Henri Ragot, employé des PTT de Millau, fut d’abord intégré au bataillon des sapeurs télégraphistes, puis à la compagnie télégraphiste de la 10e armée. Remis à la disposition des PTT en janvier 1916, il fut rappelé à l’activité militaire en avril et versé dans le 8e régiment du génie.

Combattants en Orient

Sept soldats de la classe 1904 et 24 de la classe 1914 combattirent en Orient, autour de Salonique au nord de la Grèce et de Monastir, alors en Serbie (aujourd’hui Bitola en Macédoine). Ils y restèrent entre trois et 23 mois, parfois pendant une partie de l’année 1919. Ainsi Charles Calmes, jeune comptable de Saint-Georges, du 58e régiment d’infanterie, embarqua le 23 février 1917 et débarqua à Salonique le 25. Après les combats de Macédoine et la défaite de la Bulgarie, il se retrouva à Odessa en décembre 1918, puis en Bessarabie, dans le cadre du soutien militaire français aux armées russes antibolchéviques. Il fut évacué en juillet 1919.

Cinq soldats de la classe 1914 moururent dans la région de Monastir  : Joseph Valery, de Ségur, garçon de café à Paris avant la guerre, Jean Alfred Chauchadis, de Millau, tué accidentellement et enterré au cimetière militaire de Monastir, Henri Conduché, d’Azinières, tué en résistant à une attaque bulgare, Louis Douziech, né à Rodez, marchand de bois à Millau et Félix Arlès de Millau, cultivateur à l’Hospitalet, touché par un gros éclat d’obus. Un sixième soldat, Henri Izard boulanger à Saint-Léons, fut tué lors de la seconde bataille de Skra-di-Legen, en Macédoine grecque. Quant à Jean Albert Maumy, né à Génillé dans l’Indre-et-Loire, garçon limonadier à Millau en 1914, il fut blessé quatre fois pendant la guerre, dont trois fois en Serbie.

Morts pour la France

L’échantillon compte au total 116 morts pour la France, soit 21,2 % des mobilisés. Rappelons que pour l’ensemble du pays on compte environ 1,4 millions de victimes militaires pour 8 millions de mobilisés (17,5 %). La variation était grande d’une classe à une autre et d’un canton à un autre, et l’échantillon étudié ici n’est représentatif que de lui-même.
Pour la classe 1904, le premier des 49 soldats à tomber fut Jean Austruy de Millau, caporal au 342e régiment d’infanterie, le 19 août à Beauséjour dans la Marne. Derrière ce nom de lieu se cache un des endroits les plus meurtriers du front. Jean Austruy fait partie des 25 morts en 1914 de la classe 1904, soit la moitié des victimes de ce groupe. En novembre 1914, la participation du 342e régiment d’infanterie (les réservistes de Mende) à la première bataille d’Ypres causa le tiers des pertes de la classe 1904. C’est autour du village de Wytschaëte qu’ils tombèrent massivement. Le nombre de morts diminua ensuite : dix en 1915, cinq en 1916, cinq en 1917, trois en 1918. Enfin, deux autres soldats moururent d’une tuberculose contractée au front, respectivement en 1919 et 1926, et furent inscrits parmi les Morts pour la France.
La classe 1914 ne fut incorporée qu’en septembre, et participa moins aux combats les plus meurtriers des premiers mois. Il se trouve cependant que le premier soldat touché de cette classe était le frère du précédent, Louis Austruy, engagé volontaire en avril au 122e régiment d’infanterie. Il disparut trois jours après son aîné, à Lunéville (Meurthe-et-Moselle). Deux autres soldats de la classe tombèrent en 1914. Ils furent quarante en 1915 (60 %), dix en 1916, huit en 1917 et six en 1918. Étant davantage dispersés entre plusieurs régiments que leurs aînés, leurs lieux et dates de décès le sont aussi. Il y a toutefois une pointe début 1915 dans la Marne (Massiges, Beauséjour). C’est aussi à ce moment qu’Arthur Albouy de Vezins, engagé dans la marine, disparut dans le naufrage du Bouvet, touché par une mine aux Dardanelles.

Blessés survivants

Pour la classe 1914, deux tiers des 116 soldats blessés le furent une seule fois, mais 22 % reçurent deux blessures, 9 % trois et 3% quatre. 53 % retournèrent au combat jusqu’à la fin, alors que les autres furent réformés ou classés dans le service auxiliaire.
Deux tiers furent touchés par des éclats d’obus, voire de bombe, de torpille, de mine et de grenade, un cinquième fut atteint par des balles et les autres se partagent entre intoxiqués aux gaz ou victimes d’accidents divers.
Une commission examinait les soldats qui demandaient une pension. Elle pouvait être définitive ou temporaire, ce qui conduisait à un nouvel examen. Un barème était défini en fonction du type de séquelles et de leur gravité. La pension maximum s’élevait alors à 2400 francs, et la minimum était de 10%, soit 240 francs.
Une mention spéciale revient à Ferdinand Bouat de la classe 1904, né à Pont-de-Salars, enregistré à Vezins en 1905 et cultivateur à Vimenet depuis 1910. Soldat du 24e bataillon de Chasseurs à pieds, il fut blessé cinq fois par des éclats d’obus, à la machoire, à l’épaule, à un bras, au thorax et aux jambes : en février 1915, en avril 1916, en octobre 1917, en septembre 1918 et le 3 novembre 1918. Ses cicatrices et séquelles de fracture lui valurent une pension de 20 %.

Malades

Les fiches de matricule étudiées font mention de 60 cas de soldats touchés par une maladie pendant la période de guerre. Cela concerne aussi bien des affections bénignes qui ont demandé deux semaines de repos avant un retour au front, que des pathologies ayant entraîné le décès ou de lourds séquelles. Pour un tiers des cas, la pathologie n’est pas indiquée. Un autre tiers concerne des bronchites, pleurites, pleurésies et tuberculoses pulmonaires. Le dernier tiers comprend six cas de typhoïde, cinq cas de troubles gastriques, trois cas de paludisme (contracté en Orient) et des pathologies variées qui ne touchent qu’un soldat.

Prisonniers

Onze mobilisés de la classe 1914 et 32 de la classe 1904 furent faits prisonniers par les Allemands. D’abord considérés comme « disparus », leur sort était connu par un avis communiqué par l’ennemi. Le délai pouvait être assez long. Par exemple pour Omer Grailhe de Rivière, disparu le 5 novembre 1916, l’avis officiel date du 6 juin 1917. Les prisonniers furent libérés et rapatriés entre novembre 1918 et février 1919, sauf un cas de prisonnier blessé en 1914, libéré dès 1915. Ainsi, en fonction de leur date de capture, ils passèrent entre six et 51 mois dans un camp en Allemagne, d’où ils pouvaient être affectés à différentes tâches.
Parmi eux, Damien Valière, de Vezins, classe 1914, d’abord affecté dans le service auxiliaire pour atrophie légère de la jambe droite et hydarthrose puis reclassé service armé en décembre 1914, il fut incorporé le 7 janvier 1915 dans l’infanterie. Fait prisonnier en 1916, il fut rapatrié le 10 novembre 1918 atteint de la tuberculose et mourut le 4 décembre à l’hôpital d’Avignon.

Insoumis et déserteurs

Derrière ces deux mots, longtemps considérés comme infamants, mais auxquels certains, comme Boris Vian, ont rendu leur dignité, se cachent des réalités extrêmement variées. Les notices qui suivent, tirées des informations incomplètes des fiches de matricule, ne doivent pas être surinterprétées.
Alexandre Juéry* de Montjaux, classe 1914, fut déclaré insoumis le 28 janvier 1915, ne s’étant pas présenté à sa caserne depuis août 1914. Il fut rayé des contrôles de l’insoumission le 6 avril 1918 quand il fut clairement établi qu’il se trouvait en Belgique, comme instituteur libre dans un école catholique, début août 1914 et s’était retrouvé "retenu en pays envahi", dans la zone occupée par les Allemands, avant de pouvoir regagner son unité.
Clément Alric, classe 1904, qui avait fait sa période d’exercices militaires en 1913, n’est jamais réapparu ensuite.
Charles Lagarde de Millau, classe 1914, déclaré "bon absent" au conseil de révision de mars, n’a jamais rejoint, et sa fiche se contente de signaler son décès en 1922 à Montpellier.
Hippolyte Andrieu, de Millau, classe 1904, était devenu vagabond en Languedoc après avoir été réformé en 1907 pour imminence de tuberculose. Il ne se présenta pas en 1914. Arrêté par la gendarmerie de Montpellier en octobre 1915, condamné à six mois de prison, il fut affecté dans l’infanterie et mourut sur le front en mai 1917. Il est inscrit sur les monuments aux morts de Millau.
Louis Julié, cultivateur à Millau, classe 1914, réformé du service militaire en 1906 pour bronchite suspecte, classé service armé en 1914, incorporé au 96e régiment d’infanterie, évacué malade le 22 août 1915, déclaré déserteur le 15 janvier 1916, n’est jamais réapparu.
Louis Frayard, né à Rennes, classe 1914, fut plusieurs fois condamné pour vol, mendicité et abus de confiance entre 1911 (il avait 17 ans) et 1914, par les tribunaux de Montpellier, Lyon, Nogent-le-Rotrou, Valence, Millau, Albi, Riom et Narbonne. En mars 1914, il fut déclaré menuisier rue Peyrollerie, mais il finit l’année en prison. Incorporé le 5 septembre 1915 dans le 2e bataillon d’infanterie légère d’Afrique, il fut condamné pour "désertion à l’étranger en temps de guerre avec circonstances attenuantes" à un an de prison par le conseil de guerre de Casablanca en décembre 1917. Devenu ébéniste dans le Midi après la guerre, il n’eut plus à faire à la justice. Remobilisé en mai 1940 dans le service auxiliaire malgré la perte totale de la vue de l’œil droit, il fut définitivement libéré de ses obligations militaires le 6 août 1940.
Léon Régis, de Saint-Léons, classe 1904, parti à Paris avant la guerre, incorporé dans le 342e régiment d’infanterie en 1914, fut blessé à la tête par un éclat d’obus à Dixmude en Belgique le 11 septembre 1914. Il repartit au front, mais en 1917 il fut condamné pour "désertion en présence de l’ennemi" à cinq ans de prison. Il fut enfermé à Clairvaux et libéré en 1921.
Louis Benoit, de Saint-Germain, classe 1914, fantassin au 122e régiment d’infanterie, fut blessé quatre fois entre octobre 1915 et août 1917, en particulier à la tête. Déclaré déserteur le 12 août 1918, il fut arrêté par les gendarmes de Millau et ramené à sa caserne le 6 mars 1919, d’où il s’évada la nuit suivante. De nouveau arrêté le 16 juin, il fut condamné le 21 janvier 1920 à un an de prison avec sursis pour "désertions à l’intérieur en temps de guerre avec circonstances atténuantes". La commission de réforme de 1920 lui refusa une pension. En 1924, il fut condamné à quatre ans de prison pour vol et port d’arme prohibé. En 1929 – après avoir purgé sa peine ? - il fut définitivement réformé de ses obligations militaires pour épilepsie traumatique et troubles psychiques. C’est seulement à cette date que ses séquelles furent effectivement reconnues et que sa fiche mentionne qu’il avait été trépané suite à ses blessures de guerre. En 1937 il devint hémiplégique et il mourut en 1938.
Victor Bernad, de Prunhac de Ségur, fut fantassin sur le front pendant toute la guerre. Il fut déclaré déserteur le 25 novembre 1918, mais se présenta le 3 décembre. Il fut condamné à 3 mois avec sursis.

Tout autre fut le destin de Gabriel Delmas, né à Saint-Beauzély, classe 1914, maçon à Millau avant la guerre, d’abord incorporé dans le 2e régiment de zouaves. Il mesurait 1,69 mètres, avait les cheveux châtain clair, les yeux châtain verdâtre, le front vertical, le nez cave et sinueux et le visage long. Il était tatoué d’un buste de femme en profil sur le bras gauche, un dé sur le bras droit et trois points entre le pouce et l’index de la main gauche. Nommé caporal en juin 1915, il fut blessé en août près d’Ypres, avec des plaies multiples aux deux jambes, au bras droit, à la main droite, à la poitrine et à la tête et une perforation du tympan droit. Classé service auxiliaire en 1917 pour impotence fonctionnelle de la jambe droite, il servit dans le 20e escadron du train des équipages. En mars 1919, il participait à la mission française en Sibérie. Il fut finalement déclaré déserteur le 28 mars 1919, ne s’étant pas présenté à l’embarquement à Honolulu ...

Pour aller plus loin : parmi les très nombreux ouvrages sur la Grande Guerre, celui qui a servi de modèle à cette étude est le livre de Jules Maurin, Armée – Guerre – Société : soldats languedociens (1889-1919), Publications de la Sorbonne, Paris, 1982. Il étudie 30 classes de soldats lozériens et bitterois.
Sur internet :
 memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr
 combattant.14-18.pagesperso-orange.fr
 chtimiste.com
 carto1418.fr
 cartoprisonniers-de-guerre-1914-1918.chez-alice.fr.

Merci à tous les contributeurs.

* soldat dont il a été question dans l’article précédent.

Jean-Yves Bou.