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Enfant abandonné à Coupiac en l’an IV (1796)
Article mis en ligne le 4 juin 2016
dernière modification le 3 juin 2016

par Patrick DELEPAUT

Enfant abandonné à Coupiac en l’an IV (1796)

C’est un acte rare et surprenant que j’ai découvert dans les dossiers de la justice de paix de Coupiac. Cet acte est dans le dossier 88 L 34 et daté, pour la première écriture, du 9 ventôse an IV (28 février 1796). Il s’agit d’une plainte déposée auprès du tribunal du canton de Coupiac (arrondissement de Saint Affrique) présidé par Joseph CONSTANS juge de paix et de police judiciaire.

Jean BOULERAND cultivateur demeurant au masage des Plas (on trouve aussi d’Esplas dans la même procédure et dans des actes d’état civil), commune de Coupiac, vient déposer plainte pour abandon d’enfant. Il expose que le 1er ventôse le dénommé ARSOU, peigneur de laine demeurant à Rebourguil, « a exposé et déposé dans sa maison un enfant male agé d’environ 10 jours, … celuy ci absent ». Puis «  led ARSOU partit et s’en fut a toute jambe pour s’en revenir chez luy accompaigné d’une fame inconue qui l’assistet lorsqu’il posa led enfant. »

Après avoir trouvé l’enfant, BOULERAND s’en «  fut poursuivre led ARSOU pour le luy faire reprendre et l’ayant atteint et joint en chemin il l’engaga à le reprendre ce qu’il fit et desuite led BOULERAND etre revenu chez luy. Mais led ARSOU raporta led enfant qu’il posa sur la muraille de la rue ou basecour dud BOULERAND et led ARSOU s’en revint tout gauche. Cet enfant ainsi exposé et a être dévoré par les cochons, l’épouse dud BOULERAND touchée de compassion et par humanité prit led enfant pour empêcher d’être dévoré par les cochons et de le laisser mourir ainsy abandonné. »

« Parce que cette voie de fait de la part dudit ARSOU a le caractère d’un délit punissable qui merite une punition exemplaire, led BOULERAND exposant sa plainte dud délit à conclu et demandé que led ARSOU soit condamné a reprendre led enfant et qu’en déffaut ou refus par lui de ce faire sur these dud commandement qu’il lui en sera fait qu’il soit permis aud BOULERAND de le faire transporter et remettre chez led ARSOU, soit condamné en la somme de 1000 livres en numéraire envers led BOULERAND a titre de dommages et intérets envers luy, faire inhibitions et deffenses de plus recidiver sous de plus fortes peines, le condamner aux depens et aux peines portées par les loix pour raison desquelles la partie publique prendra des conclusions quelle avisera pour la vindicte publique avec dépens ... ».

Il est rare de prendre sur le fait un abandon d’enfant. Dans ce cas le propriétaire du lieu où est trouvé l’enfant, parce qu’il sait où retrouver le responsable, l’enjoint de reprendre cet enfant. Claire expression de la mentalité de l’époque : il ne faut pas abandonner l’enfant, mais si le présumé père le reprend, tout rentre dans l’ordre sans autre suite particulière !

Mais nous sommes devant un tribunal qui juge rapidement les affaires dont il est saisi. Les protagonistes ont été convoqués le 6 ventôse par un huissier. Il s’agit d’ARSOU (on notera que son prénom n’est jamais cité mais qu’il est désigné comme l’ainé), Jean BOULERAND et des témoins cités par ce dernier. Il s’agit « d’André GALONIES, la nommée GUEVAND épouse de Jean COMBES tous demeurant aux Esplas, Jean Baptiste DURANT du Bouyssou et Jean CAPUS de la Pédavie .

L’acte se poursuit par une analyse sur la compétence du tribunal de Coupiac puisque celui de Saint Affrique s’est déclaré incompétent. In fine le jugement aura lieu en application de divers textes cités (Constitution et loi du 3 brumaire an IV instituant un code des délit et peines). D’une manière plus surprenante un ouvrage d’analyse de la justice de « SOLAGE  » est cité : « le traité des crimes, tome V chapitre 6 pages 267 et 268 (précise que) ceux qui sont convaincus d’avoir exposé leur enfant aux hôpitaux ou devant la porte d’une église ou d’une maison dans une rue ou (?), si se sont des personnes pauvres elles sont condamnées au fouet ou au bannissement et si se sont des personnes qui (possèdent ?) du bien elles sont condamnées à faire élever et nourrir l’enfant exposé... »

Il semble que le président du tribunal ait été sensible aux arguments de BOULERAND et s’est évertué à sanctionner l’attitude d’ARSOU qu’il déplore. Aussi c’est en application de « la 1er partie de l’article 150 … de la susdite loi du 3 brumaire dernier (qui) attribue la compétence aux tribunaux de police judiciaires du canton relativement aux délits dont la peine n’est portée par la loy ny modifié de la valeur de trois journées du travail ou au delà de trois jours d’emprisonnement ».

ARSOU n’a pas jugé utile de répondre à l’accusation ni de se présenter devant le tribunal. C’est manifestement une erreur. En effet le tribunal statue que :
« 1° Considérant que la non comparution dud ARSOU sur lad citation et son silence font présumé qu’il est coupable dud délit. 2° que iceluy se trouve justifié par les déclarations dudit témoin. 3° que led délit n’aurait point été prévu dans le code pénal ny par la loy sur la police correctionnelle... »

« Par ces motifs ledit tribunal de police judiciaire dudit canton a condamné et condamne le Sr ARSOU ayné reprendre led enfant (par lui exposé) sur lheure du commandement qui lui sera fait et sur deffaut ou refus pour lui de ce faire permet audit BOULERAND de le faire transporter et remettre chez led ARSOU audit Rebouguil par un huissier dud canton ou gens d’armes par nous requis en présence desdits témoins dont il sera dressé procès verbal par led huissier ou gens darmes pour constater ledit transport et remise dud enfant et décharge dud BOULERAND, condamne led ARSOU en la somme de trois cents livres en numéraire envers led BOULERAND à titre de dommages et intérêt et pour les fraix de nourriture dud enfant depuis l’exposition de dessus la muraille de la basecourt dud BOULERAND jusqu’au jour qui sera repris par led ARSOU ou qu’il lui sera rendu... sans préjudice dud BOULERAND de plus forts ded intérêts s’il nourrit led enfant ni pour son hébergement dans le courant de ladite décade.
Condamne ledit ARSOU à deux jours d’emprisonnement en la maison d’arrêt dudit canton de Coupiac ou du cy devant district de St Affrique, le condamnons de plus envers led BOULERAND .??.. la somme de 12 livres en numéraire pour l’expédition, enregistrement et signification du présent jugement et sur le transport et remise dud enfant chez ledit ARSOU et a la remise …
sans préjudice dud BOULERAND de plus forts ded (?) intérêts s’il nourrit led enfant ni pour son hébergement dans le courant de ladite décade.
Est également condamné envers ledit BOULERAND fait inhibition, deffense audit ARSOU de plus récidiver sous des plus fortes peines
. »

Étrangement il n’y a pas trace de la naissance de cet enfant dans les registres d’état civil de Coupiac ni de Rebourguil.

Patrick DELEPAUT

NDR : Au lieu d’ARSOU, Il faut surement lire ARSON