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Cercle Genealogique de l’Aveyron
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LES ÉTRANGERS À CAMARÈS AU XXème SIÈCLE
Article mis en ligne le 28 septembre 2020
dernière modification le 29 septembre 2020

par Philippe CHRISTOL

Héritier de la Ville-Haute construite au XIe siècle, riche de tout temps en activités industrielles et artisanales, le village de Camarès (anciennement Pont-de-Camarès) a été siège de viguerie puis chef-lieu de canton. Particulièrement actif dans la production de tissus au XIXe siècle, il a culminé alors à plus de 2000 habitants ; il en compte aujourd’hui un peu plus de 1000.

On rencontre sur la base du [bleu]Cercle Généalogique de l’Aveyron[/bleu] Richard Kobernik, dit « soldat prussien », né à Posen (aujourd’hui Poznan en Pologne) décédé le 29 avril 1918 au « mas de Camarès » ; les déclarants sont Louis Galinier « sergent chef du détachement des prisonniers de guerre » et Marcel Delarue « mobilisé au 96ème régiment d’infanterie détaché à la garde des prisonniers de guerre ».

Aucune information sur un éventuel camp de prisonniers à Camarès ne se retrouve malheureusement dans la littérature ni de façon apparente dans les Archives du Département [1]. Un des rares individus restants semble-t’il (toujours d’après la base du Cercle) serait sans doute Alfred Ober ouvrier d’usine qui convole le 8 juin 1920 avec Marthe Elisabeth Fabre ; il est originaire de Mulhouse et donc était allemand en 1914, peut-être prisonnier à Camarès, redevenu français après l’armistice donc libre…

Au recensement de 1931, pic de la présence des étrangers en France (2,7 millions, soit 6,6% de la population totale), Camarès n’en compte que 22 au chef-lieu (résidant principalement Avenue de l’église) plus 19 dans les hameaux dont 5 à Ouyre-basse et les autres en « fermes isolées », soit 41 sur un total de 1633 habitants.

Par contre au recensement de 1936, les chiffres ont doublé : 91 étrangers sur 1644 habitants, soit un étonnant 6% de la population qui correspond à la moyenne nationale. Ils sont cette fois répartis à 77 sur le chef-lieu (dont une petite moitié toujours Avenue de l’église) et 14 dans les hameaux (1 à Ouyre-basse, les autres en « fermes isolées »). On compte essentiellement
 des Espagnols (47)
 mais aussi des Polonais (9)
 un Italien
 dix Sarrois
 un Portugais
 quatre Russes
 un Belge…
Les raisons de leur venue sont diverses. Pour les Polonais, il est connu qu’il y a eu un mouvement de transfert depuis les régions du Nord (qui licenciaient avec la crise industrielle) vers le Sud de la France où on embauchait encore ; sans doute cela est-il valable aussi pour les autres nationalités.

Parmi ces 91 personnes, où femmes sans profession et enfants ne représentent qu’une douzaine d’individus, une bonne vingtaine travaillent aux usines Carayon et principalement Rachou, où certains occupent le poste de tisserand ou teinturier [2]. Une dizaine sont domestiques de ferme. Mais il y a aussi des cas particuliers : un espagnol, Pierre Sotto est berger ; un russe, Jean Fedorino avec sa femme et ses deux enfants, est installé électricien indépendant ; un belge, Valère Kostyn avec sa femme est son fils, est chauffeur (on retrouve dans les dossiers des A.D. sa fiche de 1928 où il est commis, avant de devenir apprenti mécanicien) [3].

Dossier 1928 du belge Valère Kostyn AD 12 4M510

Figurent aussi dans le recensement trois familles sarroises : mais qu’est-ce donc que des Sarrois ? Un petit rappel historique s’impose : prenant prétexte de la brève appartenance de la Sarre à la France de Louis XIV (1675-1697) puis à l’Empire (1797–1815), la France obtient que cette région frontalière de la Lorraine soit placée sous mandat de la Société des Nations en 1920 ; en 1935, un referendum doit décider de son sort, pays indépendant, rattachement à la France ou à l’Allemagne. Cette dernière option l’emporte évidemment, à plus de 90% (ce qui n’empêchera pas la France de retenter l’opération avec le protectorat français de Sarre 1947–1957). On voit dès lors apparaître dans les listes d’étrangers des « réfugiés sarrois », sans doute des personnes ayant trop visiblement exprimé des sympathies profrançaises, ou tout simplement fuyant le régime nazi. On trouve ici les familles Imbschweiler, Harrlos et Porten, totalisant dix personnes. Étrangement, les trois chefs de famille sont « maçons aux Eaux&Forêts » sans doute des postes réservés pour ces réfugiés. Ils sont bien loin de chez eux.

Sarrois dans le recensement AD 12 sous-série 6M
À noter que le prénom du père est devenu par erreur le nom de la famille !

Il faut souligner pour conclure le travail effectué sur tout le département par la généalogiste professionnelle Christine Cheuret [4] qui a relevé l’essentiel des quelques dizaines de milliers de documents sur les étrangers présents aux Archives de l’Aveyron (principalement séries 4M et W) sur une base de données qu’elle met à disposition sur son site ; avec la liste viennent de nombreux documents dont ceux en illustration de cet article.
Citons les fiches qu’elle a retrouvées concernant Camarès (les dates entre parenthèses correspondent aux extrêmes du document pris comme source) :
 Felix Oliva italien mineur (1917-1923)
 Valère Kostyn belge commis/apprenti mécanicien âgé de 16 ans (1928-1931)
 Michalina Janik polonaise travailleuse agricole (1930-)
 Tomasz Buczek polonais travailleur agricole (1931)
 Pascual Gargallo espagnol (mineur à Brusque en 1914, qu’on retrouve sur le recensement de 1936 teinturier chez Rachou) sa femme Melchiora et leurs quatre enfants dont une fille née à Brusque
 Maria Drejan yougoslave ouvrière agricole (1936)
 Salomon Frankel juif polonais et sa femme Tauba Beck (1936-1942) [5]
 Johanna Imbschweiler née Nagel réfugiée sarroise (1936-1937)
 Jan Tulak polonais domestique agricole (1940-1943)
 Julia Tulacz polonaise ouvrière agricole (1937-1940)
 Katarzyna Konowalek servante de ferme (1926-1927)
… cerise sur le gâteau quand on recherche ses ancêtres étrangers, ces documents comportent des photos !

Fiche de Johanna Imbschweiler AD 12 21W115

Ceci complète ce tour d’horizon rapide, qui nous fait retrouver une communauté étrangère significative dans un lieu où on ne l’attendait pas vraiment, et où apparemment elle n’a pas laissé une forte trace dans les mémoires.

Philippe Christol