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Cercle Genealogique de l’Aveyron
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Les gantiers de Millau - Gantiers du Tsar
(2ème épisode)
Article mis en ligne le 15 avril 2021
dernière modification le 5 mai 2021

par Suzanne BARTHE

Un article de 1990, paru dans le Midi Libre, (que nous restituons ci-dessous dans son intégralité, en remerciant Magali pour la saisie du texte ) s’intitulait

"Gantiers du tsar...Il y a 30 ans, MM. Mazel et Barthe évoquaient leurs souvenirs."

Ils avaient respectivement 82 ans et 81 ans en février 1960. Ils étaient Millavois et se nommaient MM. Mazel et Barthe.

Leur singularité ? Ils furent, au début du siècle [1], à Saint Pétersbourg, les gantiers du tsar de toutes les Russies. Un épisode mal connu qu’évoquait pour nous André Maury, il y a trente ans.

Cosaques

Si M. Barthe  [2] reste dans la capitale impériale de longues années, M. Mazel [3] n’y séjourna que deux ans, mais combien sa narration est passionnante. Arrivé en Russie auprès de son oncle, M.Vézinet [4], au redoutable moment de la révolte populaire de 1905, menée par le pope Gabone, notre sympathique gantier garde encore le souvenir angoissant des impitoyables charges des cosaques à cheval et celui de malheureux rebelles empalés aux hautes grilles des demeures aristocratiques. Mais, souvenir plus réconfortant pour un jeune exilé, M. Mazel se souvient, non sans émotion, de l’ouvrier russe de son oncle qui lui chanta aussitôt, le jour même de son arrivée, le refrain de la chanson de Millau « Oh ! qu’espoulit Millau » Quelle preuve frappante du don d’assimilation des langues étrangères que l’on prête aux Russes. A noter ici qu’il s’agissait, par surcroît de langage occitan.

Images hivernales de la bénédiction de la Néva glacée, avec toute la pompe liturgique orthodoxe et russe, spectacle printanier d’une promenade en bateau à roues à aubes sur cette même rivière jusqu’à Cronstadt, vision du moudjik misérable et sale obligé de marcher dans le caniveau boueux et non sur le trottoir, que d’anecdotes auraient pu conter ce bon M. Mazel sur ces dernières années de la Russie tsariste.

Pour l’aristocratie

Mais revenons plutôt à l’intérieur de cette ganterie de St Pétersbourg à la fois atelier et magasin de vente qui se situait sur une rue débouchant sur ce que l’on pourrait appeler « Les Champs Elysées » de la capitale impériale russe. Si M. Barthe fournissait à la cour du tsar Nicolas II « des gants »de très haute qualité, M. Mazel vendait d’aussi beaux produits aux ambassadeurs et à la haute aristocratie.

C’étaient trois à quatre douzaines de paires de gants qui se débitaient quotidiennement dans la boutique de l’oncle Vézinet [5] la paire de gants valait de deux à trois roubles soit environ 10 francs de l’époque, ce qui, mon Dieu, n’était pas si mal vendu que ça.

L’on se demandera peut-être où et comment l’oncle Vézinet se procurait les peaux nécessaires. Si beaucoup venaient de Paris, il arrivait parfois à notre gantier de venir se réapprovisionner à Millau même. L’acheteur revoyait ainsi son cher pays natal, ses parents, ses amis et il pouvait librement choisir lui-même une excellente matière première.

Combien de tels voyages devaient être particulièrement agréables au Millavois exilé.

Piquant

Du personnel russe au service de cette ganterie, M. Mazel a conservé de piquants souvenirs. L’on sait qu’une fraction du peuple russe, à défaut de la fameuse vodka, se complaisait assez facilement dans n’importe quel alcool. Mieux qu’une liqueur frelatée, une vendeuse volait de l’essence de térébenthine qu’il fallait enfermer à clé. Et M. Mazel se rappelle, non sans une certaine pitié, de cette autre commise, ivre morte, un soir dans le magasin.

Un français en Russie, n’était quand même pas chose rare. Il suffit de nos jours de parcourir la liste électorale de la ville de Millau pour se convaincre que plusieurs de nos compatriotes sont nés, qui à Kiev, qui à Moscou ou tout autre grand centre d’avant 1914 russe.

Sur la présence des Français à Saint Pétersbourg, M. Mazel aime conter l’anecdote suivante : un jour, il aperçut dans un café un consommateur qui lisait un journal de France. Notre gantier l’interpella. Grande fut la surprise de M. Mazel de s’entendre dire en occitan : « Vous n’êtes pas un homme du Nord ». Le lecteur du journal était lui aussi du Midi.

M. Mazel ne put rester en Russie comme il l’avait tout d’abord pensé. Il ressentit au bout de deux ans cette cruelle maladie qui a nom nostalgie du pays natal. Et il repartit pour la France et Millau.

Quel régal de converser avec M. Mazel ou avec M. Barthe dont la famille demeurée en Russie, voyait se développer la révolution de 1917, alors que lui-même combattait à la même époque sur le front français devant Verdun. En août 1914, il avait en effet quitté St Pétersbourg, son atelier et sa famille pour servir sa patrie.

Précisons enfin qu’à l’occasion du voyage de M. Kroutchev en France, en 1960, un journaliste de publications franco-russes est venu se documenter jusqu’à Millau même sur les liens ayant pu unir dans le passé cette région à la Russie.