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Cercle Genealogique de l’Aveyron
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TEMOIGNAGES DU PASSE : AU TEMPS DES VACHES LAITIERES
1er Episode - Par Monique et Alain BONNEMAYRE
Article mis en ligne le 11 février 2022
dernière modification le 1er avril 2023

par Monique et Alain BONNEMAYRE , Suzanne BARTHE

Depuis plus de 25 ans Monique et Alain BONNEMAYRE se sont attachés à recueillir des "témoignages du passé" à Nant et ses environs.

Monique et Alain ont grandement contribué au succès de notre livre sur Nant dans la collection "des femmes, des hommes et leurs racines. [1] . Ils nous proposent à présent (sous forme de feuilleton et avec des documents d’époque) quelques témoignages de la vie locale au XXème siècle, et nous les en remercions.

Les producteurs de lait de vache ont créé leur coopérative en 1943.

Nous devons toutes les archives de la coopérative laitière de Nant à Madame Marie-Louise Arnal, qui y a travaillé avec son mari Gaston Arnal depuis la création de la coopérative laitière jusqu’en 1955. Gaston et Marie-Louise se sont mariés en 1938. Gaston est mobilisé le 27 août 1939 ; interné en Suisse il est libéré en 1941. Il reprend la boulangerie avec son père. Suite à un accident, il est amputé d’une jambe et appareillé en 1942.

En 1943, sous l’impulsion de Monsieur Jules Sauveplane du Prat Nau, se crée la coopérative et Gaston et Marie-Louise Arnal ouvrent la laiterie. Monsieur Jules Sauveplane du Prat Nau était le mari de Madame Françoise Bouty. [2]

Entrées 1ère quinzaine de Mai. Nom du producteur : Austruy Léon. Compan Marius. Coste Joseph. Coulon Justin. Dumazer Georges. Maurin Paul. Malzac Joseph. Peytavin Pierre. Prucel Ernest. Raymond Louis. Sabde Joseph. Sauveplane Jules.

Il est tout à fait intéressant sur le plan généalogique de retrouver les noms des différents producteurs dans les archives. Ci-contre les "entrées de la première quinzaine de mai 1943" (merci de cliquer sur le document pour l’agrandir)

Avant la coopérative, les fermiers vendaient leur lait de vache aux particuliers mais ne savaient que faire de ce qu’ils avaient en trop. A travers la lecture de ces archives on comprend la difficulté de créer cette coopérative à Nant pendant la guerre. Il est intéressant de voir les factures avec « en-tête » des artisans de l’époque. Nous n’avons plus d’archives après 1962.

« Les vaches produisaient entre 15 et 20 litres par jour. Les veaux étaient vendus à 100 kg pour la boucherie Julien de Nant, ou Atger d’Alzon ou un boucher de Lodève  » nous raconte Louis Cayzac.

Le Conseil d’Administration de la coopérative laitière de Nant (Canton) a tenu sa première délibération le 29 avril 1943. Formation du bureau : Président [3] ; vice-président Gustave Peytavin ; secrétaire Paul Maurin ; trésorier Joseph Costes. Il y a 11 administrateurs. Les statuts ont été lus aux sociétaires le 16 mai 1943 par Me Joseph Héran. Tout sociétaire est tenu de souscrire une part au moins par vache ; la valeur de cette part est fixée à deux cents francs sur laquelle est prévu un intérêt annuel de 2 à 5 francs, suivant la décision du Conseil d’Administration. Le 2 août 1944, le capital souscrit est de 30 000 francs. (25 sociétaires de 1 part à 19 parts)

Par une lettre du 2 août 1944, Jules Sauveplane demande à M. le Ministre de l’Agriculture l’agrément de la coopérative laitière de Nant et des environs pour laquelle les statuts ont été mis en conformité avec la loi du 4 septembre 1943. Le dossier a été déposé à l’Union Régionale Corporative Paysanne du Rouergue, 10 rue Pasteur à Rodez, le 28 août 1944. Il contient un acte sous seing privé, reçu par Me Héran, notaire à St-Jean du Bruel, en date du 30 juillet 1944, contenant les nouveaux statuts. Une insertion légale est parue dans « La Volonté Paysanne » de l’Aveyron le 1er novembre 1944.

Le bilan de l’exercice 1943-44 est déficitaire. Jules Sauveplane demande, pour redresser la situation, d’améliorer les recettes par un apport de lait de plus en plus important, et que le Conseil d’Administration étudie un budget réduisant les dépenses au strict minimum.

Jules Sauveplane écrit le 28 septembre 1944, « que la situation financière de la coopérative laitière de Nant a été déficitaire de mai à août ». « Par suite d’interventions diverses, la quantité de lait journalière livrée s’est sensiblement accrue de sorte que le mois de septembre est devenu normal. La livraison de lait pourrait être singulièrement accrue si d’une part il était possible d’en effectuer le ramassage complet, et si d’autre part quelques producteurs n’en conservaient pas pour en tirer un profit détourné  ».

Dans le règlement départemental, il est formellement fixé un apport minimum par vache de 900 litres par an, pour une somme annuelle de 900 x 0,31 = 279 francs, qui se décompose en deux : 27,90 francs pour le GIL [4]et 251,10 pour la coopérative.

Jules Sauveplane reproche à certains de vendre au public à un prix nettement supérieur à la taxe, soit du lait, soit du beurre ou des petits fromages.

Au temps des vaches laitières

Témoignage de Louis Cayzac et de Marie-Louise Arnal.

En mars 1997, il y avait une seule vache à Nant, une seule, qui vieillissait tranquillement, dans un parc, en compagnie de deux chevaux. Il y eut pourtant une époque où les troupeaux de vaches laitières, de deux vaches à une dizaine, étaient nombreux à Nant, dans le bourg.

Louis Cayzac pense que les cultivateurs ont acheté des vaches, les uns après les autres, car le fourrage des prés de Nant ne se vendait plus aussi bien dans le Midi. C’étaient des vaches suisses, d’un gris uni, elles donnaient rarement plus de quinze litres de lait par jour, mais du bon lait bien riche. Plus tard, il y eut quelques hollandaises, meilleures laitières en quantité mais pas en qualité.

« Et puis », raconte Louis Cayzac, «  les vaches sont parties d’un seul coup, comme elles étaient venues. Jules Sauveplane, au Pré Neuf, en avait huit ou dix. Quand j’ai loué la propriété Sabde, en 1945, il y en avait huit, j’en ai ajouté deux, Albert Bonnemayre en avait six, quatre à la Villa des Roses, chez Remise Molinier, deux chez Mme Coulon, Ernest Prucel huit, Sylvain Coste deux, Louis Trinquié deux, Roger Maury une ou deux, Robert Philippe deux, Joseph Malzac deux, le père Bouat disait : « ce sont les plus belles vaches de Nant ». Pierre puis Jean Peytavin en avaient aussi sept ou huit ». Il trouve entre soixante et soixante-dix vaches laitières pour treize producteurs de lait.

Louis Cayzac évoque aussi Noël Saunier d’Ambouls, qui exploitait la propriété d’Ernest André, il avait sept ou huit vaches et il apportait son lait avec son cheval et sa charrette. «  C’était le seul dans les campagnes à avoir des vaches. Les autres avaient des chèvres et buvaient leur lait. Quand ils partaient aux champs avec les bœufs, ils emmenaient la chèvre, attachée à la charrette, elle mangeait toute la journée ». Il continue : « La plupart des vaches sortaient peu. L’hiver, on leur donnait du foin, des betteraves mélangées à des « vannes » ; à la belle saison, elles avaient de l’herbe verte fauchée au fur et à mesure des besoins ; on mettait l’eau dans les prés pour la faire pousser  ». (irrigation avec l’eau des canaux du Durzon).

Matin et soir, chacun apportait le lait de la traite à la laiterie que Marie-Louise et Gaston Arnal avaient ouverte en 1943, dans la rue Droite, à côté de la boulangerie de Clément Arnal. Charles Février avait fabriqué un grand comptoir marqué CL (coopérative laitière), recouvert de zinc, avec deux bassines, réalisations d’Emile Jaoul, le ferblantier.

Marie-Louise Arnal décrivait le local : « Le magasin était divisé en deux, d’un côté mon beau-père avait la farine pour la boulangerie de Clément Arnal, de l’autre côté, c’était une cave pour Philippe Fabre, le beau-père de M. Séguret. L’appartement était occupé, les locataires sont allés ailleurs mais le loyer était plus cher et on devait payer la différence. Cette maison appartenait à M. Jules du Pré Neuf, il ne voulait pas la vendre, elle était destinée à Marcel Brajon. A la création de la laiterie, on a fait en bas une seule pièce pour le dépôt du lait et la vente  ».

Elle racontait : « De bonne heure, les «  laitiers » apportaient leurs bidons à la laiterie. Gaston mesurait le lait et faisait les comptes de tout le lait qui passait par la laiterie. Marie-Louise gardait ce dont elle avait besoin pour la vente. Les hommes portaient les autres bidons sur la place devant les Halles. Pistre, le chauffeur du car la Saint-Jeantaise qui faisait la ligne St-Jean-Millau, les livrait à la coopérative de Millau, rue du Rec. Il les rapportait vers 17h, vides mais pas lavés. Le dimanche c’était Gaston Bouat dit Gustou, qui les emportait ».

« A la laiterie, on vidait le lait qu’on avait gardé dans les bassines. Au début il y avait encore des cartes de lait à aller chercher à la mairie. Les enfants qu’on venait de sevrer avaient besoin du même lait, et on servait d’abord le lait pour les bébés, toujours du même producteur, le docteur Marquès le recommandait. On servait les gens qui avaient des cartes, les personnes âgées puis les gens venaient les uns après les autres, avec une bouteille ou un pot à lait émaillé ou en aluminium, le couvercle était creux, on y mettait l’argent. Quand il n’y avait pas assez de lait, on le donnait par lettre alphabétique, sinon les gens se disputaient. »

Vers neuf heures, la vente était terminée. S’il restait un peu de lait, il était placé au frais dans la fontaine du Pousadou pour être expédié le lendemain. L’eau du Durzon est toute l’année aux environs de dix degrés. Marie-Louise lavait les bidons, les bassines et faisait le ménage.

« Le lait du soir », dit Louis, « était mis au frais dans les canaux ; le matin, il s’était formé au-dessus une belle couche de crème. Il y avait des contrôles réguliers, le bon lait des vaches suisses atteignait 34% de matière grasse ». « Plus tard, on a fait une distribution de lait le soir aussi » ajoute Marie-Louise. « On ouvrait vers sept heures et on servait tant qu’il y avait du monde. Au début des années cinquante, le lait n’était plus expédié à Millau, mais au Vigan. Au tournant Marquès, avait été aménagé un dépôt dans le canal. Les bidons y passaient la nuit, immergés jusqu’au col. Le chauffeur du car de la ligne Saint-Rome-de-Cernon-Le Vigan les prenait à cinq heures et demie le matin ».

Marie-Louise a gardé de bons souvenirs de la laiterie : « Le matin, Marcel de la presse qui portait les journaux prenait le lait et nous laissait le journal, le curé Débat nous donnait « la Croix », tout le monde lisait et commentait. Marie-Claude allait le rendre pour avoir des chocolats que faisait Mme Débat. Quand il pleuvait, on avait le temps, le curé venait, Paul Malzac le boulanger, Roger Julien le boucher, Joseph Comeiras le cordonnier. Le soir, en hiver, Clément nous donnait un « brasero », c’était la réunion des jeunes. On a passé de ces fous rires ! ».

Marie-Louise a cessé de tenir la laiterie en 1955, Roger Maury, Robert Philippe, Mme Allègre se sont succédé jusqu’à la fin des années soixante, en 1966. Il ne restait alors plus que quelques vaches.

Un certain nombre de cultivateurs avaient pris leur retraite, les autres se sont orientés vers des productions différentes, comme les pommes « golden » ou d’autres activités.

Depuis quelques années, on voit à nouveau des vaches, par exemple aux Liquisses, mais ce sont des vaches, notamment de race Aubrac, élevées pour la viande.