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Cercle Genealogique de l’Aveyron
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Qui connaît les Pascal de la Pascalerie (Le Clapier) ?
Article mis en ligne le 6 août 2010
dernière modification le 11 décembre 2013

En consultant le Répertoire Numérique de la Série G (Affaires Ecclésiastiques) je suis tombé sur une sorte de Graal que recherchent probablement tous les généalogistes : des documents très anciens (médiévaux) concernant une famille roturière du village du Clapier près de Cornus.

Le Clapier, photo de Christophe TRINQUIER

Dans cette série G se trouvent, conservés jusqu’à nos jours par une espèce de miracle archivistique, des documents de la juridiction de Montpaon et du Clapier (cotes G594-G619) couvrant du XIII° au XVI°siècle.
Le répertoire, fait il y a un bon siècle, résume les actes présents ce qui permet de parcourir en peu de temps l’ensemble des cotes.

Une sombre histoire de suzeraineté

Au Moyen-Âge, personne n’est jamais totalement propriétaire : chacun tient sa terre d’un suzerain, jusqu’au roi de France dont le suzerain n’est pas de ce monde. C’est pour avoir oublié cette règle fondamentale que Raymond de SAINT-MAURICE seigneur de Montpaon, vendant à l’abbé de Joncels “aux calendes d’octobre 1295... le lieu ou repaire du Clapier et l’affar de Larbussel qui dépendaient de la baronnie de Montpaon”, met les habitants dans une situation inextricable. Il a en effet oublié de prévenir son suzerain, l’évêque de Rodez, lequel devait non seulement donner son autorisation mais aussi percevoir un droit de mutation...

Celui-ci réagit avec la plus grande énergie procédurière et obtient le 20/4/1320 un Arrêt du Parlement de Toulouse confisquant les villages en question en sa faveur, rien de moins, en déchargeant les habitants de tous devoirs envers le château de Montpaon et les faisant dépendre désormais de la juridiction du Clapier.

Nota : cette réaction s’inscrit probablement dans le mouvement de balancier entre seigneurs laïcs et seigneurs ecclésiastiques soucieux de leur temporel, et la longue lutte qui les oppose depuis l’An Mil. Aux X° et XI° siècles, profitant de la déliquescence de l’autorité centrale, les nobles et hommes d’armes (“miles”) se taillent des seigneuries, parfois au détriment de terres ecclésiastiques ; à la faveur d’un apaisement de la civilisation européenne et des départs en Croisade, évêques et abbés reconquièrent du terrain à partir de la fin du XI° siècle. Ils ne négligent pas, à leur tour, de profiter du nouveau rapport de forces pour arrondir leurs prétentions et, souvent en l’absence de documents perdus, faire prévaloir des droits plus ou moins abusifs. Confisquer les terres d’un seigneur récalcitrant rentrait parfaitement dans cette logique.

Cependant qui possède le pouvoir physique ? Le seigneur de Montpaon, tout d’abord Olivier LIETI qui avait acquis ces terres de Raymond de SAINT MAURICE, puis un nommé MALAPUE, et enfin la famille RAULET (deux Jean puis Antoine). Les populations, prises entre deux feux, voient cependant leur intérêt : l’évêque de Rodez n’étant pas en position de lever ses taxes, et le seigneur de Montpaon n’étant plus en droit de le faire, certains refusent tout simplement de payer. Le seigneur fait alors jouer la force et l’intimidation, mais les rebondissements se succèdent et un procès plus ou moins continu s’étale entre 1470 et 1516, faisant référence à des pièces et accords antérieurs.

Les PASCAL de la Pascalerie

La Pascalerie sur la carte de Cassini

En lisant de près les cotes voisines du procès, on voit apparaître Guillaume PASCAL du Clapier recevant en acapte à perpétuité le village de Caussareilles dans la paroisse Saint André, le 15 des calendes de mars 1255 ; puis un R.PASCASII (sic) prêtre, participe au nom de ses frères à un acte étonnant par lequel les habitants du Clapier cèdent à Guillaume de SAINT MAURICE “tout ce qu’ils pouvaient exiger de lui à raison des dommages causés par ses prédécesseurs” - ce qui laisse supposer que les relations n’ont pas toujours été cordiales entre seigneur et population. Enfin en 1280, un G. et un R.PASCAL répondent présents.
Aucun élément ne permet de relier ces personnages aux suivants.

A partir de 1317 et 1320, le hameau de La Pascalerie (La Pasqualaria) est cité, dans le deuxième acte mentionnant les hommes de La Pascalerie parmi les victimes des exactions du seigneur de Montpaon. Cette famille, citée ensuite comme habitant ce hameau à la création duquel elle est probablement liée (soit qu’elle en ait pris le nom soit plutôt vu la forme qu’elle le lui ait donné), va apparaître en première ligne dans le conflit judiciaire qui oppose la population au seigneur dont les droits sont contestés.

A la cote G598 de la justice ecclésiastique de Montpaon, p307-308 du Répertoire, se situe un extrait du registre de la cour de St Affrique : le 21/7/1513 il y eut procès entre Jean RAULET seigneur de Montpaon et Pierre, Jean, Guillaume, autre Guillaume, autre Pierre PASCAL, du village de la Pascalerie, & François d’ESTAING évêque de Rodez (..) Louis & Raymond PASCAL, fils de Guibert PASCAL, possesseur du domaine utile (dominus utilis) du village de la Pascalerie, auxquels succèdent les défendeurs, ayant refusé d’acquitter le passatgium (peatge) comme les autres hommes de la Baronnie de Montpaon, ils avaient été cités devant le juge de Montpaon le 30/5/1470.
Refusant de comparaître (selon le paragraphe précédent et le jugement en faveur de l’évêque, ils dépendent désormais de la juridiction du Clapier..), ils sont cités à la cour de St Affrique ; ils font appel au Parlement de Toulouse le 16/3/1471.. lequel renvoie l’affaire à la cour de St Affrique. Il y a quatre-vingts ans environ que les défendeurs doivent des arrérages. L’affaire a rebondi à plusieurs reprises puisque nous sommes alors en 1513 et qu’il est fait mention encore d’un renvoi du Parlement du 16/8/1512 par devant le juge de St Affrique.

La Pascalerie sur la carte IGN

La brim(ad)e ne paie pas

Bien que roturiers et très probablement en majorité illettrés, la famille PASCAL de la Pascalerie nous démontre ce commentaire vu chez un auteur du XIXe siècle, à savoir combien nos ancêtres étaient procéduriers et défendaient leurs modestes droits. Le Répertoire ne donne pas l’issue de l’affaire mais il me semble que nos “défendeurs” ont bon espoir : l’évêque obtient des Lettres de la chancellerie de Toulouse le 5/11/1516 l’autorisant à se joindre au procès des PASCAL contre le seigneur de Montpaon, qu’il essaie de faire reconnaître comme usurpateur de son fief.

Bien sûr, les seigneurs qui se sont succédés et en particulier la famille RAULET, ne l’entendent pas de cette oreille : le texte du dossier fourmille de détails sur les procédés brutaux employés pour faire valoir son droit sur les habitants :
 “ledit seigneur avait contraint les hommes dudit fort, du lieu d’Arbussel, du village de la Pascalerie, de contribuer au guet du château de Montpaon, à payer tailles, contributions & communs de paix... et troublait les habitants de la châtellenie du Clapier dans leur droit de pâturage. Il avait fait saisir divers habitants du Clapier, les avait fait conduire enchaînés à Montpaon & contraints à payer de grosses sommes d’argent ; à d’autres il avait pris bestiaux & biens.”
 à l’époque de la guerre (Guerre de Cent ans, la période de Jean le Bon) un certain MALAPUE usurpa le château de Montpaon (c’est l’évêque qui parle) et fit plusieurs violences et extorsions. L’aïeul du demander Jean RAULET ne fait pas meilleure figure <<fuit vir terribilis, violentus... plures violentiae, usurpationes, occupationes, rapinas et tirannias exercuit>> c’est-à-dire il fut un homme terrible et violent.. qui exerça ne nombreuses violences, usurpations, occupations, rapines et tyrannies...

Les habitants de la Pascalerie firent alors appel à l’évêque, qui porta leur procès à la cour du Sénéchal, au Parlement de Toulouse, et même à la cour royale d’Orléans.

Ce qui est à noter, c’est que cette violence est reprochée au seigneur et est utilisée par l’évêque comme argument juridique contre lui :
 “ce compromis (du 17/9/1431- quelques mois plus tôt, le 30 Mai, Jeanne d’Arc était brûlée à Rouen) fut passé devant la barbacane du château... Les parties étaient venus sur l’ordre de RAULET auquel elles n’osaient contredire ; elles se trouvaient devant les portes du château et devant le seigneur, qui était coutumier de violences
 “l’acte du 30/8/1434 n’a pas plus de valeur ; Jean PASCAL avait été induit à le passer de force et par la perspective de la prison

Nous sommes certes encore fort loin de l’état de droit et de l’habeas corpus, mais il est intéressant de noter, à une époque de guerres et de violences, que la contrainte et la menace pouvaient déjà être mise en avant pour annuler un acte, même passé par un simple roturier sous l’incitation pressante de son seigneur ; et que ce genre de choses pouvait remonter à la Cour...

L’inextricable imbrication des juridictions, le jeu de piste des renvois multiples de Cour à Parlement, est aussi très caractéristique de la situation compliquée de l’Ancien Régime, et vaudrait un article spécialisé ou une thèse d’historien.

Reconstitution d’une famille

Lors d’une sentence arbitrale le 5/2/1405, “Jean PASCAL prédécesseur des défendeurs était tenu de contribuer aux tailles etc de Montpaon comme les autres habitants.” Cette décision fut observée jusqu’à 1497, date de reprise du litige avec les défendeurs, qui furent condamnés par le Sénéchal de Rouergue... l’affaire se poursuivant jusqu’au renvoi à la Cour de St Affrique en 1512.

De plus, dans l’acte de 1434 cité précédemment, le Jean PASCAL en question est dit encore vivant (en 1514), <<etatis sex viginti annorum et ultra>>, âgé de cent vingt ans et plus ; Jeanne CALMENT est égalée ! Ou plus probablement, ce Jean étant issu du Jean de 1405, on a peut-être pris celui-ci pour celui-là, enfin vous voyez ce que je veux dire ; mais le bonhomme était fort probablement centenaire ou environ... sa mémoire des dates a pu lui jouer des tours.

Il ressort de cette accumulation exceptionnelle la reconstitution de l’arbre que voici :

Guillaume PASCAL du Clapier (1255 )
-> frères ? 1265 R.PASCASII (sic) prêtre &ses frères

 filiation hypothétique
 G(uillaume).PASCAL &R(aymond ?).PASCAL (1280 )
 filiation hypothétique
 Guillaume, Dorde & Raymond PASCAL (1343)
 filiation hypothétique

puis filiations assurées :
 Jean PASCAL prédécesseur (1405)
 Jean PASCAL (encore vivant en 1514 “âgé de 120 ans et plus”) aïeul des défendeurs (1434)
 Guibert PASCAL, possesseur du domaine utile (dominus utilis) du village de la Pascalerie, auxquels succèdent les défendeurs de 1513
 Louis & Raymond PASCAL fils de Guibert (1470)
 Pierre, Jean, Guillaume, autre Guillaume, autre Pierre PASCAL, du village de la Pascalerie (procès 1513)

filiation probable (à cause du hameau... et du prénom, à un siècle et demi de distance)
 Jean PASCAL époux d’Hélix GUIRAUDON, de la Pascalerie, décédé avant 1648, mon Sosa 2056, dont le fils aîné s’appelle aussi Jean et sait signer

Signature de Jean PASCAL, fils en 1648

Conclusion

Coup de chance rare (dû à un ratissage obstiné du secteur : la persévérance paye toujours), cette série de mentions me permet un éclairage en général impossible sur des générations aussi anciennes, qui plus est, dans des circonstances très intéressantes en disant long sur le contexte de la vie et des pouvoirs dans les campagnes médiévales de la vallée de la Sorgue. Les PASCAL en question (nom seulement porté aujourd’hui par trois personnes dans l’annuaire téléphonique des villages voisins, Cornus et La Bastide des Fonts) étaient visiblement une famille non négligeable du secteur (donation d’un village, identité du nom avec le lieu, comportement lors du procès...) peut-être le cran juste en-dessous de ces laboureurs qui finirent par se faire attribuer une terre noble et ensuite le titre qui va avec ; mais pour ce qui est de la lutte avec le seigneur de Montpaon, ils ne sont que les plus en avant des paysans du Clapier protestant contre une situation de confusion des droits, et sachant visiblement, malgré les risques physiques à s’opposer au seigneur en place, en tirer parti pour réduire leur feuille d’impôts. Ils ont ainsi, involontairement, affirmé leur existence en perpétuant leur souvenir jusqu’à nos jours.